Mardi 02 Juin 2015

OCP / Royal air Maroc : pourquoi léEtat ne veut pas les introduire en Bourse ?

Analyse du Marché Boursier Marocain

A côté de la panoplie de réformes annoncées par les autorités, le marché a surtout besoin de papier frais. L’Office chérifien des phosphates et Royal Air Maroc sont a priori de bons candidats, mais l’Etat ne semble pas l’entendre de cette oreille. Explications.

A l’heure actuelle, la Bourse de Casablanca a besoin de papier frais et de qualité. Et ce ne sont pas les différents intervenants du marché qui diront le contraire. Dans une récente interview accordée à Finances News Hebdo (www.financenews.press.ma), le président du Directoire de la société de Bourse M.S.IN, Mohamed Benabderrazik, ne soutenait pas autre chose. Selon lui, à côté des réformes prévues pour impulser une nouvelle trajectoire de développement au marché, il faut du «papier frais de bonne qualité avec des prix attractifs, notamment via des privatisations, l’ouverture de capital d’entreprises publiques et privées». «C’est le besoin le plus important pour que le marché puisse retrouver sa vigueur et sa liquidité», ajoute-t-il. En 2012, lors d’une rencontre consacrée au développement du marché des capitaux, Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurance, avait aussi clairement formulé ce souhait, en étant toutefois plus précis, citant nommément l’Office chérifien des phosphates. «Il faut plus de papier pour donner de la profondeur au marché et introduire en Bourse certaines sociétés publiques (comme l’OCP) et privées susceptibles de donner un nouveau souffle au marché», avait-il affirmé.

Ces appels sont visiblement tombés dans l’oreille d’un sourd... du moins pour l’instant. Car, jusqu’à présent, introduire en Bourse des entreprises comme l’OCP et/ou la RAM, n’est point une priorité de l’Etat. Mais qu’est-ce qui l’empêche de le faire, surtout au regard de l’impact considérable qu’avait eu l’introduction en Bourse de Maroc Telecom sur le marché ? A cette interrogation, Farid Mezouar, expert des marchés financiers et directeur du site Flm.ma, a une réponse bien tranchée. «Tout d'abord, je pense que l'Etat n'a plus une stratégie claire en termes de privatisations. Il semble agir au cas par cas, selon le «lobbying» du management de l'entreprise publique. D'ailleurs, même du temps des gouvernements précédents, la cotation prévue de l'ex-Régie des Tabacs avait été abandonnée au profit d'une cession directe à Altadis», affirme-t-il. Non sans ajouter qu’«aussi, le gouvernement actuel mise davantage sur le partenariat public-privé (exemple de MASEN ou de la centrale électrique de Safi) comme solution de financement ou d'économie dans le budget d'investissement».

«L’Etat n’a pas une véritable stratégie en ce qui concerne les participations publiques», confirme pour sa part le patron d’une société de Bourse de la place, qui rappelle certes qu’«il fut un temps où l’on avait évoqué une cession d’une partie du capital de Royal Air Maroc en Bourse, mais l’option préconisée au départ, puis abandonnée, était de la privatiser, d’autant que des tractations avaient été entreprises avec des groupes étrangers». Notre source dénonce tout autant «la lenteur dans les prises de décision», donnant notamment l’exemple de Marsa Maroc dont l’introduction en Bourse a été repoussée à plusieurs reprises. «Il n’est pas normal que le Conseil de Surveillance ait acté le principe de l’introduction en Bourse et que l’opération soit bloquée parce que l’on attend la publication d’un décret relatif à la privatisation de la société», martèle-t-il, précisant qu’«aujourd’hui, les investisseurs n’ont aucune visibilité par rapport à cette opération».


Conjoncture favorable ?

Aujourd’hui pourtant, la conjoncture semble se prêter à l’introduction en Bourse de ces deux grosses entreprises. D’abord, le marché boursier, plombé par la léthargie et miné par une crise de confiance, a besoin de signaux forts de la part des autorités, dans la foulée des grandes réformes annoncées. Ces dernières (marché à terme, prêt-emprunt titres, fonds immobiliers, chambre de compensation, marché alternatif exclusivement dédié aux PME…), si tant est qu’elles sont mises en oeuvre, devraient certes permettre de donner plus de profondeur à la place et d’améliorer la liquidité dans un marché où le flottant représente à peine 15% (contre 45% en Egypte), mais il faudrait, en parallèle, qu’il y ait beaucoup plus d’entreprises cotées. Et sur ce registre, ce n’est pas gagné. Car, malgré les efforts déployés par la Société gestionnaire de la Bourse de Casablanca, qui démarche chaque année entre 150 et 200 entreprises potentiellement cotables, les résultats sont bien faibles : entre 2008 et 2014, seules 10 entreprises ont rejoint le cercle restreint des sociétés cotées. 

Non seulement le butin est maigre, mais il faut aussi compter avec les radiations : 11 entreprises ont quitté la cote durant la même période. Pour cet exercice 2015, Total Maroc a certes rejoint la Bourse (cérémonie de première cotation prévue le 29 mai), mais CGI, dont l’OPR vient d’être validée par le gendarme du marché, disparaîtra bientôt des radars du marché.

Sur un autre registre, si l’OCP est plébiscité par la communauté financière, c’est parce que c’est du bon papier. «La réussite de la levée obligataire à l'international préfigure d'un accueil favorable de l'OPV potentielle au Maroc. Surtout, les indicateurs opérationnels de l'OCP sont positifs, en plus d'une stratégie reconnue à l'international», fait remarquer Farid Mezouar.

En effet, l’OCP, c’est une bonne signature à l’international et, surtout, un groupe mondialement connu, qui peut se targuer d’un programme de développement et d'investissement doté d’un budget évalué pour 2015 à pratiquement 24 Mds de DH. L’émission obligataire à l’international, opérée en 2014 pour un montant de 1,850 milliard de dollars US (dont 1,250 milliard à 10 ans et 600 millions à 30 ans), et souscrite 3,2 fois, financera, en grande partie, ce programme d’inves-tissement. Plus récemment, en avril 2015, le Groupe a émis un emprunt obligataire d’un montant d’1 milliard USD sur une maturité de 10,5 ans et offrant un coupon de 4,5%, visant à doubler la capacité de production minière et tripler la capacité de pro-duction d’engrais d’ici 2025. L’OCP, ce sont aussi des fondamen-taux solides. Malgré la baisse du prix des phosphates, le Groupe a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 48,9 Mds de DH, en hausse de 4%, pour un résultat d’exploitation qui passe, d’un exercice à l’autre, de 8,8 à 9,2 Mds de DH, et un résultat net en baisse de 10% à 7,74 Mds de DH. Cette dynamique a été maintenue au premier trimestre 2015, puisque le chiffre d’affaires s’établit à 10,9 Mds de DH contre 8,6 milliards à la même période de 2014, tandis que la marge brute s’améliore de 31,5% à 7,4 Mds de DH. Pour sa part, le résultat opérationnel, de 3,25 Mds de DH, a presque doublé, au moment où les investissements consentis pour le premier trimestre s’élèvent à 3,6 Mds de DH. Et côté perspective, «le Groupe prévoit une croissance de son EBITDA sur 2015 grâce à l’amélioration de ses marges et de sa profitabilité du fait d’un accès à une roche de qualité à faible coût de production, notamment grâce à l’effet du Slurry Pipeline sur une année complète et à des économies d’échelle résultant de l’augmentation de sa capacité, ainsi que des prix d’ammoniac plus favorables». Pourtant, notre patron de société de Bourse a un tout autre avis. Selon lui, l’introduction en Bourse de l’OCP reste «une décision politique» et «ce n’est pas le bon moment pour réaliser cette opération». «Le marché boursier est dans une phase défavorable qui risque de faire rater l’opération, même si l’OCP est un papier de qualité», fait-il remarquer. «Il faudrait initier un début de confiance sur le marché à tra-vers des opérations de taille moyenne susceptibles de susciter l’intérêt des investisseurs institutionnels et des particuliers, avant d’ouvrir le capital de l’OCP», souligne-t-il. En ce qui concerne Royal Air Maroc, le succès d’une éventuelle OPV dépen-dra «de la valorisation potentielle rete-nue et du parcours potentiel de Marsa Maroc, ainsi que de l'analyse fine du businessplan. En particulier, la com-pagnie vient juste de sortir d'un plan de redressement», souligne Mezouar. Un plan de redressement sanctionné par des résultats probants, puisque la compagnie nationale a dégagé un résultat d’exploitation excédentaire de 789 MDH, et a renoué avec les béné-fices en 2013, affichant un résultat net de 168 MDH. Elle dépasse, de fait, les objectifs fixés dans le cadre du contrat-programme signé avec l’Etat en septembre 2011. Et pour l’exercice 2014 (novembre 2013-fin octobre 2014), le trafic a enregistré une hausse de +6% par rapport à l’exercice précédent, avec plus de 6 millions de passagers transportés et une progression particulièrement importante sur le marché africain (1,3 million de passagers, soit +16%). In fine, conclut Mezouar, l’OCP et Royal Air Maroc «offrent une réelle opportunité de diversification pour les institutionnels et les gérants de fonds, surtout à l'international». Encore fau-draitil que l’Etat fasse le choix d’une cession en Bourse d’une partie de leur capital. Wait and see.

 

David William 

Finances News Hebdo 

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